Il a toujours vécu dans une communauté d'artistes
5/5 A l’écoute de Radio Courtoisie .
.----. Saviez-vous que Camus se rêvait sculpteur plutôt qu'écrivain ? Que son personnage
de L’Etranger lui fut inspiré par le peintre Sauveur Galliéro ? Saviez-vous encore que
Camus fut le metteur en scène d'une pièce de Picasso ?
En cette année où l'on célèbre le cinquantenaire de la mort de Camus, il convenait de se
pencher sur ses relations avec l'art et les artistes. Elisabeth Cazenave publie Albert Camus
et le monde de l’Art.
Le futur Prix Nobel a toujours vécu dans une communauté d'artistes (certains
composant ce qu'on a parfois appelé l'Ecole d'Alger), et, puisque chez l'auteur de La
Peste « la littérature communie entièrement avec l'image, une complicité intellectuelle lie l'écrivain et les
peintres », d'où des collaborations comme celle de Balthus, auteur des décors et costumes
de sa pièce L'Etat de siège.
Elisabeth Cazenave consacre donc un livre, abondamment illustré, à l'univers artistique
camusien, dont elle analyse l'approche : sa culture grecque, méditerranéenne, y est
déterminante. Entre soleil et fraternité, celle-ci promeut le goût de la nature et de la
mesure qui protège l'écrivain, et ses amis artistes, des théories gratuites et stériles.
Camus, sensible à l'Absurde, ne voulait pas d'un art nihiliste : « L'art n'est ni le refus total ni
le consentement total è ce qui est L'artiste se trouve toujours dons cette ambiguïté, incapable de nier le
réel et, cependant éternellement voué à le contester dans ce qu'il a d'éternellement inachevé ».
[ Signé : Christine Sourgins
Suppléante du Libre journal d'Aude de Kerros dans " A l'écoute de Radio Courtoisie " , n° 10, février 2010 ]
Sauver la mémoire de tout un patrimoine
5/5 Lectures Françaises .
.----. Dans le numéro 7126 de Présent (11 juillet 2010, 5 rue d'Amboise, 75002 Paris) notre
ami Georges Dillinger a rendu un très bel hommage à Elisabeth Cazenave qui vient
d'être nommée Chevalier dans l'Ordre National du Mérite.
« Pour une fois, dit G. Dillinger, le choix des pouvoirs publics tombe "de notre côté". Si
la nouvelle m'a fait plaisir – car Elisabeth est depuis bien des années une amie fidèle et
généreuse –, cette distinction a une portée qui mérite d'être soulignée.
« Elisabeth est issue d'une famille, enracinée dans l'Ouest algérien (Tlemcel Inkerman),
elle-même étant née à Alger. Elle a poursuivi ses études secondaires au lycée Delacroix
au centre de notre capitale. Avec cet immense peintre, qui au demeurant a illustré les
charmes exotiques de l'Afrique du Nord, n'héritait-elle pas du parrainage qui devait
l'orienter vers une étude des artistes français qui, pendant plus d'un siècle, ont
immortalisé le passé de notre Afrique du Nord depuis les paysages jusqu'aux scènes les
plus intimes. Rappelons quelques titres (de ses livres) remarquables :
- Albert Camus et le Monde de l'art. Association Abd-el-Tif (AET). Atelier Fol'fer, 2009.
- Charles Brouty, AET Editions de l'Onde, 2007.
- Paul-Elle Dubois, peintre du Hoggar, Ed. du Layeur, 2006.
- Explorations artistiques au Sahara, Association AET, Ed. Ibis Press, 2005.
- L'Afrique du Nord révlée par les musées de Province, AET, Bernard Giovanangeli Editions,
2004.
- Maurice Bouviolle, peintre du M'Zab, AET, 2003.
- Les artistes de l'Algérie. Dictionnaire des peintres, sculpteurs, graveurs, 1830-1962 AET, Bernard
Giovanangeli Editions, 2001.
- La Villa Abd-el-Tif, un demi-siècle de vie artistique en Algérie, AET, 1998, 2002.
- Marius de Buzon, AET, 1996.
« Ces ouvrages ne sont pas animés par l'appétit commercialement racoleur, jouant sur la
nostalgérie de tant de nos compatriotes. Les études minutieuses d'Elisabeth Cazenave
ont visé à sauver la mémoire de tout un patrimoine, principalement pictural, dont une
multitude d'artistes travaillant dans les conditions parfois difficiles du bled, ont fixé la
beauté et le pittoresque, au service de notre Algérie. A cet égard, son Adb-el-Tif fourmille
de renseignements qu'elle a patiemment réunis.
Quant à son Dictionnaire comprenant
2 000 notices, il est un ouvrage qui, au-delà d'une infinité de précisions sur les artistes et
leurs œuvres, constituera une source de données pour tous ceux qui s'intéresseront au
passé de ce pays qui est retombé depuis sous une chape de barbarie. A ce titre, ce
Dictionnaire pourra intéresser les historiens, les chercheurs et les curieux, y compris dans
bien d'autres domaines que l'Art, Elisabeth Cazenave a apporté sa pierre au monument
de la vérité historique dont l'érection est si urgente devant l'actuel regain du mensonge ».
Pour notre part, nous apprécions beaucoup l'oeuvre d'Elisabeth Cazenave dont tous les
livres disponibles sont proposés dans le catalogue général de la Sarl DPF. Nous
entretenons avec elle les meilleures relations puisque nous la rencontrons régulièrement
lors des salons et ventes de livres au cours desquels elle dédicace ses ouvrages.
Nous ajouterons aux propos de G. Dillinger, qu'elle est elle-même peintre spécialisée
dans la restauration de tableaux (pour le Musée du Louvre, la Fondation Wildenstein et
à titre privé). Elle est également experte auprès de la Chambre européenne des experts-
conseils en œuvres d’art. En 2001, elle figurait au sommaire des écrivains ayant
contribué à la rédaction de notre 16e Cahier de Chiré. [ Lectures Françaises, n° 641, septembre 2010 ]
« la véritable œuvre d’art est toujours à la mesure humaine »
4/5 Mondes et Cultures
.----. Sans renier la littérature, Albert Camus (1913-1960) se considérait comme un artiste à
part entière et se disait tenté par la sculpture qui était pour lui le plus grand des arts. Il a
été constamment sensible à la démarche artistique et fréquenta de nombreux artistes,
longuement présentés dans la dernière partie de l’ouvrage.
Originaire d’une famille établie en Algérie depuis 1840 et spécialiste de la vie artistique
en Algérie, Elisabeth Cazenave était toute désignée pour cette confrontation de Camus
avec le monde de l’Art. Après avoir donné quelques repères biographiques significatifs,
elle rappelle que pour Jean Grenier, « Camus est indissociable d’Alger, de Tipasa et d’Oran,
comme Dante l’est de Florence et Goethe de Weimar ».
L’écrivain baigne dans cette culture méditerranéenne qui s’affirme chez lui et les artistes
de son entourage venus de divers horizons. La plupart constituent la jeune pléiade
d’artistes locaux qu’il a rencontrés au hasard de la vie, au cours d’une promenade ou
d’un verre partagé à la terrasse d’un café. Un nom mérite d’être cité : Sauveur Galliéro,
son camarade de lycée, très tôt devenu peintre, rendu proche par les circonstances de la
vie, il inspirera le personnage de Meursault dans L’Etranger.
D’autres sont attachés au
monde du théâtre qui fut une de ses grandes passions. Il se lie avec les pensionnaires de
la Villa Abd-el-Tif (qui est l’équivalent algérien de la Villa Médicis) qui sont les premiers
auxquels le journaliste accorde un article. Cette génération d’artistes des années 1930 vit
l’âge d’or de l’histoire de l’Algérie, où un courant orientaliste moderne présente une
Algérie vécue et non plus rêvée. Une image méditerranéenne commune les réunit dans
la diversité de leurs ouvrages.
Parmi les lieux de rencontre privilégiés, Tipasa reste le lieu initiatique dont il fait une
évocation lyrique dans Noces, illustré par Jacques Houplain et édité par Edmond Charlot,
qualifié par Jules Roy de « médecin accoucheur » de la littérature en marche.
A l’entourage familier formé par ses amis écrivains et journalistes, plus connus, s’ajoute
ainsi un groupe constitué de peintres, sculpteurs, illustrateurs, architectes, décorateurs et
costumiers qui, moins célèbres, revivent sous la plume attachante d’Elisabeth Cazenave.
Philosophe de l’absurde à l’optimisme raisonné, Camus se découvre comme un homme
chaleureux, animé par un pressant besoin de fraternité. Son oeuvre tout entière
communie avec l’image et entretient une complicité avec ses amis artistes qui en
deviennent les interprètes, tels Pierre-Eugène Clairain pour La Femme adultère ou Edy
Legrand pour La Peste.
La révolte de Camus se fonde sur une pensée solaire tirée de l’expérience équilibrée de
l’Antiquité grecque. L’écrivain est frappé par « l’art si plein de soleil » de son ami, le
sculpteur Marcel Damboise. Pour lui, la lumière permet à travers la révélation de la
matière de rejoindre l’immatérialité et l’intemporel. Certains soutiennent son
éblouissement avec avantage, d’autres s’en trouvent aveuglés. L’éloge de la mesure
proposé par Camus est le compromis adopté par les artistes de son entourage et
notamment les artistes de la Villa Abd-el-Tif, dont les œuvres sont faites d’équilibre et
d’harmonie. Pour lui, « la véritable œuvre d’art est toujours à la mesure humaine ». A la sagesse
grecque, les artistes de son entourage ajoutent 1*héritage des anciens maîtres, où ils
puisent « un enseignement classique ». Enracinée dans le paysage méditerranéen, l’œuvre vise
à « équilibrer le réel et le refus que l’homme oppose à ce réel ». Richard Maguet illustre cette réalité
transformée dans sa Fuite en Egypte, plantée dans une nature provençale familière. Une
tension s’opère entre la soumission au réel et sa transfiguration.
La pensée de Camus est irradiée par la notion de bonheur, placée sous le signe de la
mesure, de la beauté et de la nature. Trois états de bonheur s’inscrivent dans ses textes
et dans un art à l’échelle humaine : le bonheur physique, tiré de l’adhésion à l’ordre de la
nature (chanté dans Noces) ; le bonheur « humaniste » célébrant la vie et l’amour (entre
autres, dans les oeuvres d’Adret, Assus, Boucherie, Bouneau, Bouviolle, Buzon, Clairin,
Damboise, Ferriez. et plus généralement l’Ecole d’Alger) ; le bonheur métaphysique.
Outre l’hommage rendu à l’homme, Camus veut faire de sa philosophie solaire une
philosophie salvatrice. L’homme, centre d’intérêt de l’univers, doit servir un idéal et
défendre une humanité fondée sur la justice, sans se résigner à ses maux que sont la
haine, l’injustice et la mort. L’écrivain oscille ainsi entre les extrêmes, entre L’Exil et le
Royaume (illustré par Orlando Pelayo).
A travers la relation des artistes avec l’écrivain, Elisabeth Cazenave développe pour le
plaisir du lecteur l’admirable leçon d’Albert Camus, selon laquelle la grandeur d’une
œuvre s’apprécie à la façon dont « elle rend plus admirable et plus riche la face humaine ». [ Signé : Henri Marchal dans " Mondes et Cultures ", Compte rendu annuel des travaux de l’Académie des Sciences d’outre-mer,
Tome LXX – 2010 ]