Vision synthétique et claire.
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.----. Les biographies et les essais d’Albert Camus sont innombrables. L’intérêt de l’étude de Valérie Mirarchi est de proposer une vision synthétique et claire de l’itinéraire de Camus, gamin pauvre et tuberculeux du quartier Belcourt à Alger au Prix Nobel de littérature en 1957. Il n’a alors que 44 ans. C’est très jeune, mais le destin semble ne pas lui avoir pardonné la phrase dans son Caligula : « On ne comprend pas le destin, et c’est pourquoi je me suis fait destin. » L’écrivain meurt dans un accident automobile le 4 janvier 1960. Cette route de l’Yonne était pourtant sèche, droite et déserte. La Facel Véga HK 500 a zigzagué étrangement et s’est encastrée dans un platane. Camus est tué sur le coup. Michel Gallimard, le conducteur, son éditeur et ami, est éjecté du véhicule. Il décède quelques jours plus tard. Sa femme et sa fille, assises sur la banquette arrière, sont indemnes. La sacoche de cuir noir de l’écrivain contient le manuscrit inachevé du Premier Homme qui sera publié en 1994, avec une préface de Catherine, sa fille.
Les filles, le football, la plage
Camus ne connaîtra jamais son père, Lucien, blessé en 1914 et mort à l’hôpital de Saint-Brieuc. Le garçon est élevé par sa mère analphabète et handicapée par une demi-surdité. Toute sa vie, elle fera des ménages, lavera le linge sans éprouver le moindre ressentiment. Camus avoue avec admiration : « Devant ma mère, je sens que je suis d’une race noble : celle qui n’envie rien. » Ça résume l’état d’esprit de l’auteur du best-seller L’Étranger, paru en 1942, en zone occupée soumise à la censure nazie. À Alger, les journalistes se précipiteront chez sa mère pour recueillir son témoignage après le décès de son fils, mais quand ils comprendront qu’elle n’est pas au courant, ils diront qu’ils cherchent quelqu’un d’autre.
Le jeune Camus court les filles, joue au football, nage avec délice dans la Méditerranée, aime le soleil, les ruines de Tipasa et l’été, l’invincible été. Et pourtant, il nous laisse une œuvre considérable. Son ennemi héréditaire, Jean-Paul Sartre, infect à son égard, dira, trois jours après sa disparition : « Nous étions brouillés, lui et moi : une brouille, ce n’est rien — dût-on ne jamais se revoir —, tout juste une autre manière de vivre ensemble et sans se perdre de vue dans le petit monde étroit qui nous est donné. » L’humanisme de Camus lui aura permis de supprimer l’étroitesse de ce monde-là, et de tous les autres mondes.
L’Etranger, roman inépuisable
L’Étranger est bien plus complexe qu’il n’y parait. Il résume l’absurdité de la condition humaine certes, mais il reste un roman à relire à plusieurs périodes de sa vie. On y trouvera toujours quelque chose de nouveau, d’indicible, qui échappe. Il ne faut pas le découvrir dans une salle de classe surchauffée avec de la buée aux carreaux. Il faut le découvrir sur une plage, seul au soleil, du sel sur la peau. On y goûtera alors ce qui fait l’essence de la splendeur du monde, surtout lorsque celle-ci se fane à cause d’une humanité irresponsable. Le personnage principal, insaisissable, condamné à mort après avoir tué un Arabe — crime raciste ?—, regarde la nuit et déclare : « Devant cette nuit chargée de signes et d’étoiles, je m’ouvrais à la tendre indifférence du monde. » Sérénité quasi mystique face à un monde insensé.
L’une des grandes qualités de l’essai de Valérie Mirarchi est de résumer avec précision les grands textes de Camus. Elle pousse la porte, à nous d’aller voir derrière. Elle replace notamment dans le contexte du Covid-19 le roman La Peste. Même si les rues n’ont jamais été jonchées de cadavres, sauf dans le cerveau de ceux qui nous gouvernent et nous manipulent, Mirarchi note : « (…) on peut y voir la triste réalité du coronavirus qui exige de manière radicale l’isolement d’un monde et non pas seulement celui de la ville d’Oran. Il n’y a plus rien d’imaginaire dans La Peste : c’est une évidence que la littérature et l’histoire peuvent nous guider pour améliorer la compréhension de notre vécu. » Encore faut-il que l’intellectuel ne soit pas un propagandiste zélé qui refuse le réel. L’écrivain doit accepter le risque d’être ostracisé, de devenir un maudit.
Maria Casarès, l’égérie
Camus et les femmes, le désir des femmes. Retenons un nom : Maria Casarès. Tout les réunissait : le soleil, l’Espagne, l’exil, le théâtre. Elle l’a éperdument aimé. Il n’a jamais quitté sa femme, Francine, pour l’immense tragédienne à la voix nicotinée. Elle était envoûtante, Maria, dans Les Dames du bois de Boulogne (1945). Ils font l’amour pour la première fois le 6 juin 1944, ça ne s’invente pas. Puis ils se quittent, se recroisent le 6 juin 1948 à Saint-Germain-des-Prés. Ils ne se sépareront plus, même s’ils ne vivront jamais ensemble. Ils s’écriront, plus de 900 lettres. C’est son « Unique », lui déclare-t-il.
Elle sait que ce n’est pas vrai, mais qu’importe. Elle conserve précieusement la carte de visite sur laquelle son amant a griffonné : « Cœur fidèle suit sa reine ». Quand elle apprend la mort de Camus, elle s’écroule, se roule sur le sol, crie, le cri d’une amoureuse frappée à l’âme. Elle est pour toujours sa « vague noire ». Le 4 juin 1950, Maria lui avait confié : « Nous nous sommes rencontrés, nous nous sommes reconnus, nous nous sommes abandonnés l’un à l’autre, nous avons réussi un amour brûlant de cristal pur, te rends-tu compte de notre bonheur et de ce qui nous a été donné
[ Signé : Pascal Louvrier, auteur de "Johnny que je t’aime" (Praxys diffusion) et directeur littéraire des éditions Tohu-Bohu.]
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