Les vingt-deux gravures figurant dans cet ouvrage représentent des scènes de la vie quotidienne, domestique, citadine et rurale, dans les pays de langue allemande du siècle dernier. On y retrouve la même atmosphère traditionnelle et archaïque, le même univers d'avant l'invention des machines. Pourtant, jeux et joies l'emportent nettement sur le labeur et sur les peines : promenades, chasses (à l'ours et au papillon), jeux de poupée, loisirs d'hiver et de printemps marquent l'essentiel de ces saisons heureuses, faites d'ordre, d'harmonie, d'heures rarement troublées. Le travail lui-même, indispensable à cette vie de fastes et de fêtes, n'y est jamais représenté comme un labeur imposé, éreintant, mais comme une activité naturelle et joyeuse, à la mesure de l'homme, de ses forces et de sa foi, qu'il s'agisse d'artisanat ou de travaux de ferme. Un sourire, un contentement perpétuel traverse ces visages d'enfants et ces figures d'adultes dont l'existence se passe à oeuvrer sagement, à tout ranger, tout ordonner de l'aube au soir, y compris leurs rêves. Un univers sans grand mystère en somme, idyllique mais aussi quelque peu monotone, où chacun a sa place toute tracée, ses joies préfigurées, ses travaux désignés d'avance. Une société policée, comme on dit, pas du tout polissonne, les seuls écarts qu'on y tolère étant l'usage parfois immodéré du tabac ou de la boisson. Encore sont-ils punis comme il convient.
A travers ces scènes lénifiantes, l'enfant allemand ou autrichien faisait ainsi l'apprentissage des lettres et des sons de sa langue, que chaque gravure figurait selon des lois très phonétiques. On l'imagine, cet enfant, sage et patient, appliqué à déchiffrer cet univers paisible et bon enfant, bien qu'adulte, en s'initiant aux mystères du langage et de l'écriture. Mais sans doute ne savait-il pas, cet enfant tudesque et studieux, qu'il balbutiait sa propre langue, en l'aube de sa vie, a. travers les images d'un monde en son crépuscule. De tous les mots, de tous les objets représentés sur ces images, dans ces légendes, combien ont disparu ? On ne trouve plus aujourd'hui de baquets en bois ni de chaudrons dans les cuisines en carrelage, de rouets dans les ateliers, de diligences ni de moulins à eau. On ne trouve plus non plus de chasseurs d'ours dans nos forêts ni de postillons en colère sur les routes. Ainsi rencontre-t-on en cet album le miroir d'un monde où se côtoient jeux fantômes et joies véritables, où s'activent d'innocents personnages qui ne savent pas encore qu'ils sont déjà entrés dans le musée mélancolique de l'homme.