Discours woke ?
5/5 https://www.causeur.fr/
.----. Douglas Murray pense mal. Après L’Etrange suicide de l’Europe (2018) puis La Grande déraison (2020), le journaliste anglais s’attaque cette fois avec Abattre l’Occident à l’ensemble du discours woke qui s’est imposé aux Etats-Unis et qui chaque jour conquiert des territoires en Europe. Rendre compte d’un tel livre était une gageure que notre chroniqueur a brillamment relevée, selon son habitude.
L’Amérique, c’est loin, pensez-vous…
Pourtant, les délires générés par le mouvement Black Lives Matter, avec tous ces sportifs blancs agenouillés pour demander pardon à leurs co-équipiers noirs — pardon pour la traite atlantique, l’esclavage, les coups de fouet, la ségrégation and so on —, sont arrivés chez nous dans le sillage de l’affaire George Floyd (2020), anticipée ici sous le nom d’Adama Traoré (2016). Et les médias font une piqûre de rappel chaque fois qu’un voyou menaçant est abattu par les forces de l’ordre — ou par cette vieille dame qui a poignardé avec l’opinel accroché à son porte-clefs le malfaiteur qui agressait son époux octogénaire. Quelle brutalité chez ces personnes âgées blanches !
Nous n’avons pas attendu George Floyd pour procéder à nos propres génuflexions. La loi Taubira (2001) interdit pratiquement d’évoquer un autre esclavage que celui issu de la traite atlantique, comme le rappelle cette semaine un article sur la fabrique (aventureuse) de l’Histoire. Que la traite transsaharienne ait fait bien plus de morts, que des Noirs aient mis en esclavage d’autres Noirs, que les Musulmans aient continué la traite alors que toutes les nations « blanches » y avaient renoncé, USA compris, ce sont là des faits qui n’apparaissent pas dans nos manuels scolaires. Et qui, si vous les évoquez en classe, provoquent immédiatement un scandale majeur et un déni massif.
Le déni même qui est celui de la Gauche la mieux pensante et la plus écologique, aujourd’hui regroupée autour de la NUPES et de Jean-Luc Mélenchon, lider maximo comme Castro et grand conducator comme Ceausescu.
Douglas Murray, avec la patience obstinée des journalistes anglo-saxons, accumule les exemples. Du côté des Blancs est l’horreur, « comme si le monde extra-occidental avait été un jardin d’Eden peuplé de parfaits innocents. » Que les Hutus aient génocidé les Tutsis n’intéresse pas nos modernes penseurs de la « fragilité blanche » — pour reprendre le titre de Robin DiAngelo (White Fragility, 2018), livre à succès cité par tous ceux qui veulent culpabiliser les Blancs, leurs enfants et leurs bébés à naître. Ni les partisans de la Théorie Critique de la Race, qui fait de la suprématie blanche, telle qu’elle s’exprime à travers la colonisation, le ressort de l’Histoire. Un bon moyen d’évacuer la lutte des classes, camarades…
C’est que « l’identité blanche est consubstantiellement raciste ; les Blancs n’existent pas en dehors du système de la suprématie blanche. » On aura remarqué le caractère tautologique d’une telle remarque : le Blanc est raciste parce qu’il est blanc, ce qui explique qu’il soit raciste. Le Noir, en revanche…
Et puis si l’on peut grappiller au passage des dédommagements… Ils veulent mettre la race au centre de la dialectique, mais le facteur économique se rappelle à leur bon souvenir, hein…
Même chose en géo-politique. « Les pays extra-occidentaux bénéficient ainsi de l’absolution pour des crimes contemporains qui n’ont rien à envier en matière d’horreur à tout ce que l’Occident aurait commis par le passé », écrit Murray. Il n’y a pas d’entorses aux Droits de l’Homme en Arabie Saoudite, ni au Qatar où nos bonnes consciences applaudiront bientôt un mondial de foot bâti avec le sang des milliers de travailleurs étrangers traités comme des bêtes.
Et puis il y a le ressenti d’individus chauffés à blanc (c’est le cas de le dire) par des médias complaisants. Peu après l’affaire Floyd, on sonda les Américains pour qu’ils disent selon eux combien d’Américains noirs sans armes auraient été tués par la police en 2019. « Chez les Américains qui se considéraient comme « très libéraux », explique Murray, 22% déclarèrent que la police avait tué au moins 10 000 noirs sans armes au cours de l’année précédente. Chez les simples libéraux, 40% des gens pensaient que les chiffres étaient compris dans une fourchette allant de 1000 à 10 000 personnes. Les chiffres réels plafonnaient à 10. »
Le conditionnement commence au berceau. Dans un ouvrage d’apprentissage de l’alphabet intitulé finement A is for Activist, Innosanto Nagara propose un L comme LGBT, T comme Trans ou X comme Malcolm. Les éditeurs français embauchent aujourd’hui, sur le modèle américain, des sensitivity readers chargés de traquer dans les manuscrits qu’on leur propose tout ce qui pourrait heurter l’exquise sensibilité de tel groupe de pression, telle communauté qui à 67% place l’islam au-dessus des lois de la République. Voltaire, Montesquieu, passez votre chemin.
Et les enseignants français se mettent au diapason des pédagogues américains de Buffalo, qui contraignent les jeunes enfants « à regarder des vidéos d’enfants noirs morts afin de leur inculquer la brutalité policière. » Après tout, des profs recrutés en quatre jours feront eux aussi de Zola l’auteur intouchable de « J’accuse », sans se soucier de savoir si L’Argent, par exemple, n’est pas un sommet de l’antisémitisme, et Nana un ramassis de complaisances sexistes.
Douglas Murray sillonne ainsi tout le champ de l’idéologie anti-raciste, qui est en train d’élaborer en toute bonne conscience, et sans que cela n’émeuve un quelconque juge, un racisme à l’envers qui est encore et toujours du racisme. Il passe ainsi en revue le discours sur l’Histoire (nous apprenons ainsi que Churchill est la cible préférée de cette cancel culture qui empêche Anne Hidalgo de réinstaller la statue de Montaigne au bas de la rue de Seine, et a imposé un référendum aux Rouennais pour savoir s’ils souhaitaient vraiment que l’on remette sur la place du Général-De-Gaulle la statue de Napoléon démontée « pour restauration ». Sans tambour ni trompettes, note Le Figaro. Dame : Bonaparte n’a-t-il pas rétabli l’esclavage aboli par la Révolution ?
La France, après tout, est ce pays où Houria Bouteldja, qui n’est pas du tout raciste, a publié en 2016 un essai qui n’essentialise pas du tout les groupes humains, intitulé Les Blancs, les Juifs et nous. Sous-titré « Vers une politique de l’amour révolutionnaire », il suggère de n’avoir de relations sexuelles qu’avec des racisés. Peur sans doute que la peau blanche ne déteigne sur les indigènes de la République — qui ne dédaignent pourtant pas faire de jeunes Blanches les esclaves de leurs ébats : voir blacksonblondes.com, site parfaitement répugnant et sommet du racisme décomplexé.
Sauf que le sperme qu’éjaculent ces malabars est blanc — fatalitas ! Pas un hasard : combien de Noirs — des Oncle Tom disait-on autrefois — participant aux activités blanches (par exemple le juge américain Clarence Thomas, qui a fait basculer la Cour Suprême du côté conservateur) sont de mauvais Noirs, blanchis de l’intérieur… Comme chantait Nougaro :
« Armstrong, un jour, tôt ou tard
On n’est que des os
Est-ce que les tiens seront noirs ?
Ce serait rigolo… »
Ça, c’est sûr que nous n’avons pas fini de rire — jaune.
[ Signé : Jean-Paul Brighelli le 17 septembre 2022 -
Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.]
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Lucidité, clairvoyance, courage et combativité
4/5 https://lanef.net/
.----. Depuis plusieurs années, l’Occident est la cible d’une attaque en règle qui cherche à le déstabiliser jusque dans les profondeurs de son identité. Tel est le diagnostic saisissant établi par Douglas Murray, journaliste et essayiste américain, qui livre dans cet ouvrage les résultats d’une enquête approfondie. « Alors que l’Occident est cloué au pilori pour tous ses méfaits, on ne lui reconnaît plus le moindre bienfait », observe-t-il dans l’introduction, mettant l’accent sur les conséquences néfastes qui en découlent pour les nouvelles générations, nourries des fautes et en même temps privées des gloires de leur civilisation.
Ces méfaits se retrouvent dans tous les domaines, à commencer par l’imputation du racisme aux Blancs, dès lors présenté comme une pathologie (Noir est devenu synonyme de Bien, Blanc synonyme de Mal). En affectant tous les secteurs de la vie, la haine de soi conduit l’Occident à se soumettre à des puissances impérialistes, dont la Chine est désormais au premier plan. Parmi les moyens privilégiés utilisés pour justifier cet énorme complexe, l’auteur retient la réécriture de l’histoire, illustrée notamment par la « frénésie iconoclaste » visant les statues des « Pères fondateurs ». Les racines philosophiques et religieuses de l’Europe ne sont pas oubliées dans cette entreprise de déconstruction. « Il faut vouer aux gémonies les Grecs antiques et la tradition chrétienne. Il faut prendre pour cible Aristote comme la Bible. » La littérature et l’art n’échappent pas à ces impératifs mortifères.
Face au défi existentiel auquel l’Occident est confronté, Douglas Murray recommande à ses héritiers d’exiger des autres la réciprocité de traitement dans tous les domaines, même si cette démarche entraîne de grandes souffrances. Lucidité, clairvoyance, courage et combativité caractérisent la démarche de l’auteur.
[ Signé : Annie Laurent dans Lectures Mars 2023 de La Nef ]
PS : Qu'est-ce que La Nef ? : La Nef a été créée en décembre 1990, c'est un magazine mensuel, catholique et indépendant. Ce faisant, La Nef s'inscrit clairement et sans complexe dans une ligne de totale fidélité à l'Église et au pape qui la gouverne.
La haine de l'Occident
4/5 https://www.lesalonbeige.fr/
.----. Douglas Murray vient de publier Abattre l'Occident. Comment l'antiracisme est devenu une arme de destruction massive. Extrait d'un entretien donné au Figaro :
[.] Ces nouveaux antiracistes sont racistes à l'égard des Blancs et ceci est désormais considéré comme autorisé et même encouragé. Je pense que tout ceci est pernicieux et risque d'être hautement contre-productif. Après tout, si vous dites à un groupe minoritaire qu'il est mauvais, qu'il n'y a rien de bon à dire sur lui et qu'il ne peut rien faire pour expier sa culpabilité innée sauf disparaître, il est peu probable que cette minorité se laisse convaincre. Mais lorsqu'il s'agit de la nouvelle guerre contre les Blancs, c'est une guerre menée contre les populations majoritaires de l'Occident.
La probabilité qu'une majorité continue à accepter qu'on lui parle de cette manière me paraît faible. C'est une des raisons pour lesquelles ce nouvel antiracisme doit être stoppé net. Permettez-moi également d'ajouter que, selon moi, nous parlons en réalité d'anti-occidentalisme. Il en existe de nombreuses formes: l'anti-occidentalisme arabe, l'anti-occidentalisme chinois. Mais celui qui m'intéresse le plus (et que je cherche à démonter pièce par pièce) est celui que j'appelle anti-occidentalisme occidental. La haine de l'Occident depuis l'intérieur de l'Occident. [.]
La principale réécriture concerne le passé occidental qui se trouve ainsi tout entier entaché des péchés de l'esclavage, du colonialisme et du racisme. Personne ne nie que ce sont des aspects de notre passé. Mais ils ne constituent pas la somme totale de notre passé, et encore moins le seul prisme à travers lequel regarder tout le reste. Nous ne le ferions pour aucune autre culture, mais grâce aux théoriciens américains de l'antiracisme, ces erreurs sont devenues la seule façon d'appréhender ce qu'ils appellent «l'histoire blanche». Ils parlent par exemple du «péché fondamental» de l'Amérique, l'esclavage. Mais attention, tout le monde peut jouer à ce jeu. Pourquoi seuls les pays occidentaux auraient-ils des péchés fondateurs? Quel est le péché fondamental du Nigeria ou du Gabon, par exemple? Ces pays en ont évidemment un. Après tout, si nous en avons un, pourquoi pas tous les autres pays, toutes les autres civilisations? Pourquoi faut-il que seul l'Occident soit placé sur le banc des accusés et que tous les autres soient considérés comme des innocents édéniques? [.]
Vous rappelez dans votre livre que les détracteurs du racisme ou du sexisme ciblent systématiquement les Occidentaux alors que des pays, comme la Chine, où sont commises les pires atrocités contemporaines, sont au contraire épargnés par les critiques. Comment expliquez-vous ce «deux poids, deux mesures»?
Je crois que notre sens inné de l'autocritique est utilisé contre nous. Et je crois que nos concurrents et rivaux sur la scène mondiale l'utilisent tout particulièrement. Regardez la façon dont le Parti communiste chinois joue sur l'autocritique occidentale. L'un des organes de propagande du PCC a récemment publié une caricature (en anglais) de l'Oncle Sam dans le Bureau ovale, entouré de cadavres. Le texte d'accompagnement parlait de George Floyd et de la séparation des familles à la frontière mexicaine, affirmant que l'Amérique a toujours été raciste. Il n'est pas nécessaire d'être un génie pour savoir ce qui se passe. Mais il faut être fou pour croire que le PCC se soucie le moins du monde du racisme ou de la séparation des familles. Demandez aux habitants de la province du Xinjiang ce qu'ils en pensent, ce million de personnes dans les camps de concentration en Chine. Et bien d'autres. [.]
De même, ne surestime-t-on pas l'influence réelle du phénomène woke? Vous proposez de le combattre, mais le meilleur moyen de le combattre n'est-il pas de l'ignorer ou de le mépriser ?
«Woke» est un terme que je n'aime pas car il fait croire que ces attaques sont frivoles, légères, ce qui n'est vraiment pas le cas. Ce qu'on appelle woke est en fait une offensive fondamentale contre tout ce qui concerne notre culture et notre passé. Et nous ne pouvons pas l'ignorer. Ce que je pense, c'est que nous devrions le comprendre, puis essayer de nous en détacher et de le démonter à notre tour. En termes intellectuels, ce qui s'est passé, c'est que la «théorie» déconstructiviste française est arrivée en Amérique il y a quelques décennies, que les académies américaines lui ont donné une tournure raciale américaine et qu'elle nous a ensuite été renvoyée à toute vitesse.
Les pays anglophones sont particulièrement vulnérables à ce phénomène, c'est pourquoi le mouvement woke est si fort dans certaines régions du Canada, ainsi qu'au Royaume-Uni et en Australie. Mais les Français auraient raison de nous engager à nous éloigner de tout cela. J'avais l'habitude de penser que l'Amérique était un importateur net de mauvaises idées. Ces dernières années, elle est devenue un exportateur net de mauvaises idées. Nous devrions essayer de rejeter ces importations particulières. Nous avons nos propres problèmes, mais nous devons nous assurer que nous ne faisons pas nôtres ceux de l'Amérique. [.]
Pour quelles raisons pensez-vous que les wokistes et les nouveaux antiracistes veulent à tout prix détruire l'Occident ? Est-ce lié à l'absence de sens de nos sociétés ?
ll y a des vides, certes, et l'une des grandes tâches de cette génération doit être de les combler ou du moins de viser à les combler. Mais comme je le dis vers la fin de mon livre, la réponse doit venir d'un niveau très profond. Nos sociétés sont poussées à se transformer en sociétés du ressentiment. Je pense qu'il n'y a qu'une seule réponse à cela, c'est d'inverser la tendance. La seule réponse au ressentiment, celle qui s'adresse aux mêmes profondeurs, c'est la culture de la gratitude. C'est ce qui manque le plus. Où est cette fichue gratitude pour tout ce que nous avons? Après tout, naître en France ou en Amérique au XXIe siècle, c'est encore gagner à la loterie de la vie. Pensez à d'autres endroits où vous pourriez naître. Et faire partie d'une culture telle que la nôtre, c'est loin d'être négligeable.
Pourtant, qui ose aujourd'hui aborder ce sujet? Lorsque j'ai écrit L'Étrange Suicide de l'Europe , j'ai dit que l'un de nos problèmes en Occident était que nous ne savions pas quoi faire de notre chance. Mais j'ai changé d'avis à ce sujet. Un sportif américain, Branch Rickey, a dit un jour une très belle chose sur la chance. Il a dit: « La chance est un fruit de l'existence. » Le fait qu'une si grande partie du monde veuille venir en Occident (et non l'inverse) suggère que quelque chose doit être bon chez nous. Et je suggère que s'il y a quelque chose de bon aujourd'hui, c'est parce que nous et ceux qui nous ont précédés avons fait des choses qui étaient bonnes dans le passé. Nous avons fait de bons choix. Ou du moins de meilleurs choix que d'autres. J'aimerais que nous réfléchissions à ces bonnes choses, et que nous les chérissions davantage.
[ Présenté par par Michel Janva le 9 septembre 2022 ]
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