Profondément enracinée au Cambodge ?
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.----. Fondée au XVIe siècle par quelques marchands portugais venus s’établir sur les rives du Mékong, la communauté catholique cambodgienne a toujours été perçue comme une entité originale, tant du point de vue des Khmers, souvent considérés comme indifférents à l’Évangile, que du point de vue des autorités ecclésiales. C’est sur l’histoire de ces chrétiens au Cambodge que s’est penchée le Père Vincent Chrétienne, curé de la paroisse Sainte-Thérèse de- l’Enfant-Jésus de Chomnaom qui publie « 500 ans de présence chrétienne au Cambodge » chez Salvator.
Soumis aux événements violents qui troublent le Cambodge depuis des siècles, les chrétiens qui y vivent ont dû traverser, avec une surprenante fidélité, les guerres, les schismes internes ainsi que le génocide perpétré par les Khmers rouges. Malgré un nombre restreint de baptisés, le relèvement constant de l’une des plus petites Églises du monde manifeste pleinement l’espérance chrétienne du Christ vainqueur de la mort et du péché.
Pour évoquer ce livre, et cette histoire, nous avons interrogé Vincent Chrétienne.
Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?
Vincent Chrétienne : Je suis le Père Vincent Chrétienne, prêtre des Missions Etrangères de Paris, une société missionnaire présente en Asie et dans l’Océan Indien depuis plus de 350 ans. J’exerce mon ministère au Cambodge depuis cinq ans ; je suis curé d’une petite paroisse rurale, Chomnaom.
Breizh-info.com : Quand est née votre vocation ?
Vincent Chrétienne : L’appel de Dieu s’est manifesté en mon cœur lors de mon enfance, mais je n’ai considéré cet appel avec sérieux qu’après mes dix-huit ans. En 2010, je suis entré au séminaire de Bordeaux pour devenir prêtre diocésain, mais après deux années d’études, il me semblait que je ne parvenais pas à discerner exactement ce que le Seigneur attendait de moi. J’ai poursuivi ma formation au Séminaire français de Rome où la rencontre avec des séminaristes des Missions Etrangères m’a permis de dévoiler pleinement l’appel à la mission ad gentes. J’ai été ordonné prêtre en 2016.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a mené au Cambodge ?
Vincent Chrétienne : La règle pour les aspirants (séminaristes) des Missions Etrangères est de ne pas choisir le pays où ils partent. Ainsi ai-je reçu ma destination du supérieur général des MEP au jour de mon ordination diaconale. Il s’agit d’un envoi ad vitam.
Comment y vivent les chrétiens aujourd’hui ? Combien sont-ils ?
Vincent Chrétienne : La communauté catholique du Cambodge est une des plus petites du monde, environ 22 000 baptisés. Le pays a toujours été une terre de tolérance religieuse ; les chrétiens vivent librement leur foi.
Breizh-info.com : Votre livre évoque une présence chrétienne sur plusieurs siècles. Quelle est sa genèse ? Quelles épreuves ont-ils dû traverser ?
Vincent Chrétienne : L’origine du christianisme au Cambodge est liée à l’arrivée de marchands portugais au milieu du XVIe siècle. Ces chrétiens d’origine européenne s’établirent dans l’ancienne capitale royale de Longvek et entretinrent des rapports privilégiés avec les monarques khmers. Durant trois siècles, ces quelques centaines de personnes furent les seuls chrétiens présents dans le pays. Aussi conservèrent-ils leurs coutumes et leur langue, quoique très corrompue au fil du temps. Au XIXe siècle, le pays connut l’arrivée massive de chrétiens vietnamiens fuyant les persécutions dans leur pays. Ils sont aujourd’hui largement majoritaires parmi les baptisés (environ 15 000).
Malgré la tolérance religieuse, les fidèles au Cambodge eurent à subir les nombreuses guerres qui ravagèrent le royaume. Ainsi, leur village de Ponhea Lu (les catholiques portugais vivaient principalement dans un même lieu) fut-il souvent détruit par les armées ennemies et une partie des fidèles fut déportée au Siam (Thaïlande) au XVIIIe siècle. Les catholiques ont aussi connu des divisions internes après l’arrivée des prêtres des Missions Etrangères envoyés par le pape en 1660. En effet, nombreux étaient ceux qui refusèrent d’accueillir des prêtres français afin de rester sous l’autorité du roi de Portugal. Ce schisme dura un siècle environ et fut la cause de nombreuses morts. Après la Révolution française, les Missions Etrangères ne purent plus envoyer de prêtres en Asie et l’Eglise du Cambodge fut abandonnée par le clergé durant quarante ans. En l’absence de prêtres, elle connut de nombreux désordres internes. Mais la plus grande épreuve rencontrée par les chrétiens fut bien sur la guerre civile et le régime du Kampuchea démocratique (Khmers rouges). En 1970, les 58 000 chrétiens vietnamiens furent chassés du Cambodge avec tous leurs compatriotes.
Ce départ brutal consécutif au renversement du roi Sihanouk donna lieu à de nombreux massacres. Les 7000 catholiques restants (Khmers et Chinois) furent victimes des persécutions communistes. Tous les prêtres, religieux et religieuses du pays moururent de faim ou furent exécutés entre 1970 et 1979. Le premier évêque khmer, Mgr Joseph Chhmar Salas, ordonné la veille de l’entrée des Khmers rouges à Phnom Penh, mourut d’épuisement dans la rizière en 1977. Dans certains villages chrétiens, les fidèles furent crucifiés, d’autres déportés. La presque totalité des églises du pays fut détruite.
Breizh-info.com : Comment expliquez vous cette capacité de résilience dans l’adversité, dans la violence, dans la répression qui les a touchés au Cambodge ?
Vincent Chrétienne : Le témoignage des chrétiens persécutés au Cambodge est important. Pour beaucoup, la foi fut source de courage pour affronter l’enfer du régime communiste. Les épreuves endurées au cours des siècles ont profondément enraciné la foi dans le cœur des fidèles. Par ailleurs, cette Eglise souvent détruite s’est toujours relevée, et offre aujourd’hui un magnifique témoignage d’espérance.
Breizh-info.com : En Conclusion, vous expliquez que le christianisme est toujours considéré comme une religion étrangère au Cambodge. Comment l’expliquez vous malgré 5 siècles de présence ? Quelles y sont les perspectives, demain, pour les Chrétiens ?
Vincent Chrétienne : Pour les Khmers, l’identité cambodgienne est liée à leur terre mais aussi à leur foi bouddhique. Se convertir au christianisme est souvent perçu comme l’abandon de leur identité khmère. Il s’agit là d’une des raisons de la difficile croissance de l’Eglise. Par ailleurs, l’antagonisme multi-séculaire entre Khmers et Vietnamiens ne facilite pas l’évangélisation, le christianisme étant souvent associé aux Vietnamiens. Même si le catholicisme est bien accepté dans le royaume, les chrétiens sont reconnus pour leur œuvre de charité, la foi chrétienne restera toujours perçue comme un phénomène étranger à la civilisation khmère.
Il est difficile de savoir comment évoluera l’Eglise au Cambodge. L’exode rural et la rapide transformation de la société rendent incertain l’avenir. Cependant, l’Eglise a prouvé que, malgré les guerres, les persécutions, mais aussi le nombre restreint de baptisés, elle demeure profondément enracinée au Cambodge.
Propos recueillis par YV
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