Un monument dans l'histoire des idées Le livre d'Arnaud Imatz, Droite-gauche pour sortir de l'équivoque, est de ces monuments appelés à prendre une place déterminante dans l'histoire des idées. Nous avons, en particulier aujourd'hui, toutes les raisons d'essayer de sortir de l'équivoque, comme le propose son titre, ne serait-ce que pour faire un choix électoral sérieux. Il nous faut donc entrer dans ce riche ouvrage.
Ce livre n'est pas un gros livre comme les autres. Ce qui m'a frappé en le lisant, c'est l'extrême justesse des citations sur lesquelles Arnaud Imatz appuie sa démonstration. À chaque fois, l'on se dit : celle-là, je la note, je la garde, elle peut resservir. Il faut aussi reconnaître que l'auteur est assis sur un véritable trésor bibliographique. La bibliographie (qui n'est pas à lire mais à consulter) constitue une part importante de ce livre, dont tout indique qu'il a été longuement mûri : Arnaud Imatz renvoie à deux livres précédents, l'un en français et l'autre (pour ce disciple fervent de Jose Antonio) évidemment en espagnol. Dans cette construction, les notes, discrètes mais charpentées elles aussi, jouent un rôle important.
Les véritables enjeux transcendent droite et gauche
Venons-en à la position fondamentale : profondément marqué par cet ensemble flou d'auteurs que l'on a nommés « les non-conformistes des années 30 », Arnaud Imatz leur doit un humanisme profond, qui n'est pas si fréquent à droite. Son histoire des droites (car au fond c'est un peu de cela qu'il s'agit) est non seulement internationale ou au moins européenne, mais elle repose sur la dialectique, qui aujourd'hui semble avoir définitivement pris le dessus, entre libéralisme et pensée de la communauté, entre théorie de l'argent-roi et politique de l'homme, entre culte de l'individu et mystique de l'enracinement. C'est parce qu'il prend au sérieux cette opposition qu'Arnaud Imatz déborde sur sa gauche : il y a une gauche qui aspire à l'enracinement ; il y a une droite qui, se disant libérale, ne pense qu'en termes d'individu.
Au fond, les véritables enjeux transcendent droite et gauche.
Les pages écrites sur le traditionalisme en général et le traditionalisme catholique en particulier sont assez rares pour que je cite quelques extraits : « Il ne s'agit pas [pour les traditionalistes] de restaurer ce qui est d'hier mais de donner une forme nouvelle à ce qui est de toujours. La tradition n'est pas le passé ou le contraire de la novation, mais le cadre dans lequel doivent s'effectuer les novations pour être significatives et durables. » Loin d'être attachée à la lettre du passé, la tradition revendique en effet une forme d'intemporalité ou de dépassement du passé par le présent et du présent par ce qui est durable, qui permet de comprendre pourquoi le traditionalisme demeure une pensée féconde, une pensée de l'histoire et non un blocage anhistorique.
Avec beaucoup d'audace, Imatz n'hésite pas à souligner la fécondité de cette école traditionaliste, de laquelle, à des titres divers, peuvent se rapprocher des libéraux modérés, tels Tocqueville ou Louis de Saint-Simon. « Lorsqu'on lit les oeuvres de la plupart des auteurs contre-révolutionnaires, on s'aperçoit que ceux-ci, volontiers rangés de nos jours au magasin des antiquités, professent des doctrines souvent subtiles et que bien peu d'entre eux songeait en fait à rétablir l'Ancien Régime sans rien y changer et que, dans leur immense majorité, ils déploraient que la constitution ancienne, originelle de la monarchie, ait été altérée par l'absolutisme. »
Que cherchent les traditionalistes dans leur tradition ? Une synthèse intellectuelle contre le pouvoir absolu, que ce soit celui de la monarchie ou celui de la République, une synthèse entre hiérarchie sacrée et égalité de droit divin. Si les traditionalistes ont échoué historiquement, ce n'est pas à cause de leur nostalgie pour un temps qui n'existe plus mais parce qu'ils ont toujours refusé les simplifications faciles, qu'elles soient anticapitalistes, antisémites ou antibolchéviques.
On trouve également dans ce livre étincelant une défense du général De Gaulle, personnage contrasté, auquel on peut trouver une saveur contre-révolutionnaire si on l'écoute dire à Alain Peyrefitte : « Nous avons essayé d'inventer un nouveau régime, une troisième voie entre l'oligarchie et la démocrassouille (sic). » Cette troisième voie est-elle possible ? En tout cas, c'est sur cette troisième voie que constamment se tient Arnaud Imatz, une troisième voie qui n'est ni la droite ni la gauche mais qui représente une sorte de foi politique dans l'homme et dans la tradition... malgré tout.
Indépendamment du succès ou de l'échec, la contre-révolution selon Arnaud Imatz est un témoignage rendu à ce qu'il y a de meilleur dans l'homme.
Joël Prieur www.minute-hebdo.fr
Minute n° 2787 - 14 septembre 2016 - 20/10/2016