Plus que jamais, celui qui veut la paix doit connaître l’Histoire
5/5 reinformation.tv
.----. Giraudoux mettait en scène dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu tout son désir de paix face à la folie des hommes. Philippe Conrad dresse, lui, dans 1914, la guerre n’aura pas lieu, un tableau d’historien pour dire, à travers un regard global sur l’Europe d’avant 1914, combien la guerre aurait pu ne pas être. Comment elle fut le fruit de la conjonction des événements tout autant que de la conjoncture qui les entourait et de l’embrasement ou de l’impassibilité des cœurs qui y prirent part. Pourquoi il faut toujours tenir compte de l’imprévu. « Ce travail… entend simplement mettre en lumière ce qui ne rendait pas inéluctable le conflit européen ».
Pas d’uchronie à l’horizon – Conrad ne réécrit pas l’histoire. Il tente de dire pourquoi elle n’est jamais écrite.
La guerre n’aura pas lieu en 1914
Les raisons de l’éclatement de la première guerre mondiale flanquée de ses 1 million 350.000 morts et ses 3 millions de blessés, furent longtemps tenues pour acquises. Et l’on commence tout juste à les remettre en cause, comme le fit Christopher Clark, en 2013, dans Les Somnambules, qui charge d’ailleurs en partie les épaules de la Russie d’alors… « La guerre du droit » ne sonne plus tout-à-fait juste. Le débat s’est ré-ouvert. Et Conrad renoue avec les travaux des historiens Renouvin et Duroselle pour tenter d’analyser les forces profondes tout autant que les causes immédiates. Ces dernières, nous les connaissons. Mais sont-elles les grandes et seules responsables ? Conrad s’attaque à six topoi historiques, les six explications traditionnelles. Pour en dire toute la réalité, mais aussi toute la fragilité.
Garder, dans l’histoire, sa place à l’imprévu
Ainsi, bien que subsistait l’antagonisme franco-allemand depuis l’annexion de l’Alsace-Lorraine en 1871, et que « Gambetta-la Guerre » pérorait au gouvernement, l’inquiétude n’était pas vraiment au rendez-vous. A cette époque de la « première mondialisation », l’heure était davantage à la coopération économique. Et le fait que l’Europe était surarmée n’était pas la promesse inévitable d’un conflit – si vis pacem para bellum. Même les rivalités coloniales – l’Allemagne avait un certain retard à rattraper – étaient largement temporisées par les négociations et les arrangements inter-occidentaux, quoi qu’en disait Lénine prompt à fustiger l’impérialisme occidental.
Les prémisses d’une organisation internationale se faisaient jour, surmontant les crises de la poudrière balkanique lors des Congrès de Paris ou de Berlin, ou initiant les deux premières conférences de La Haye, en 1899 et 1907. Les aristocraties traditionnelles, cousines qui plus est, dominaient l’Europe toute entière – à l’exception de la France. A l’été 1914, même après l’assassinat de l’archiduc héritier d’Autriche François-Ferdinand et de la Duchesse, sa femme, à Sarajevo, personne ne s’attendait à l’escalade diplomatique qui suivit.
« La part de l’aléatoire (…) ne doit pas être sous-estimée. » Conrad
Il n’y a pas d’engrenage inéluctable. Et la leçon paradoxale de Conrad – puisque la guerre a bien eu lieu ! – vaut pour l’avenir. En miroir inversé. « Il peut paraître vain de prétendre ainsi repenser l’Histoire, mais une réflexion de cette nature n’en est pas moins légitime en un moment où, en diverses régions de la planète, notamment aux périphéries méridionales et orientales de l’Europe, tensions et conflits viennent mettre en cause l’ordre mondial établi au lendemain de notre guerre de Trente Ans.
Plus que jamais, celui qui veut la paix doit connaître l’Histoire ».
[ Signé Marie Piloquet sur reinformation.tv le 6 janvier 2015 ]
L'imprévu ...
3/5 Spectacle du Monde .
.----. On n'a pas fini de s'interroger sur les causes profondes et circonstancielles de l'embrasement de l'été 1914. A posteriori, on a mis en évidence les facteurs qui l'auraient rendu inéluctable : antagonisme franco-allemand, choc des impérialismes, poudrière balkanique, mécanique des alliances, etc. Une vision aujourd'hui largement contestée. Dans ce passionnant essai, Philippe Conrad montre que de nombreux scénarii alternatifs étaient possibles, et souligne la part essentielle de l'imprévu au cours des six semaines qui ont suivi l'attentat de Sarajevo. ( signé Christian Brosio dans " Spectacle du Monde " - numéro 613 ; juillet-août 2014 ).