Joseph de Maistre ou le mystère du gouvernement

Préface de l'abbé Alain Lorans.Né en 1753 à Chambéry, Joseph de Maistre meurt en 1821 à Turin après une vie mouvementée. En 1792, il dut s’exiler lorsque les troupes françaises envahirent la Savoie, il se réfugia en Suisse?; en 1802, le roi de Sardaigne l’envoya à Saint-Pétersbourg comme ambassadeur (d’où il écrivit les fameuses «?Soirées?») où il resta quatorze ans. «?Sa vie en Russie fut un prodige de dignité?» (Charles Maurras).Les principaux ouvrages de Joseph de Maistre sont : Lettre d’un royaliste savoisien (1793)?; Étude sur la Souveraineté (1797, publiée en 1870)?; Considérations sur la France (1796)?; Essai sur le principe générateur des constitutions politiques (1814)?; Du Pape (1819)?; De l’Église anglicane (1821)?; Examen de la philosophie de Bacon (1815, imprimé en1836)?; Soirées de Saint-Pétersbourg (1821, parues après sa mort) sans parler de la Correspondance.M. Malvezin travaille à partir de citations tirées de ces nombreux ouvrages.Joseph de Maistre a subi le choc de la Révolution française comme une alarme effrayante?; de là une réflexion permanente et nourrie sur le gouvernement des hommes : voilà la trame du livre.Nous tenterons de donner une idée de l’ensemble avec une panoplie de citations : commençons par la Révolution :«?Les hommes les plus coupables de l’univers triomphent de l’univers?! Un régicide affreux a tout le succès que pouvaient en attendre ceux qui l’ont commis?! La monarchie est engourdie dans toute l’Europe?! Ses ennemis trouvent des alliés jusque dans les trônes?! Tout réussit aux méchants?! Les projets les plus gigantesques s’exécutent de leur part sans difficulté tandis que le bon parti est malheureux et ridicule dans tout ce qu’il entreprend?! L’opinion poursuit la fidélité dans toute l’Europe?! Les premiers hommes d’État se trompent invariablement?! Les plus grands généraux sont humiliés?! etc.?»Et l’auteur d’ajouter : «?Mais justement : “?Jamais la Providence n’est plus palpable.”?» (p. 104)«?Ce qu’il y a de plus frappant dans la Révolution française, c’est cette force entraînante qui courbe tous les obstacles. Son tourbillon emporte comme une paille légère tout ce que la force humaine a su lui opposer : personne n’a contrarié sa marche impunément (…) On a remarqué avec grande raison que la Révolution française mène les hommes plus qu’ils ne la mènent.?» (p. 104)«?La nation française ne veut pas de ce gouvernement, elle le souffre (…) il y a dans la Révolution française un caractère satanique qui la distingue de tout ce qu’on a vu et peut-être de tout ce qu’on verra.?» (p. 121).Comme il faudra bien en finir, arrivons à une des citations les plus fameuses :«?… Grande vérité dont les Français ne sauraient trop se pénétrer : le rétablissement de la monarchie qu’on appelle contre-révolution, ne sera point une révolution contraire, mais le contraire de la Révolution.?» (p. 142)Nous avons donc une promenade dans l’œuvre de Joseph de Maistre en même temps que nous assistons aux tribulations d’une vie mouvementée par la force des événements qui se déroulent alors et que le héros franchit toujours avec sérénité?! Le gouvernement des hommes reste le centre de sa méditation.«?On vit ce qu’on verra éternellement, dans toutes les révolutions, elles finissent, mais l’esprit qui les enfanta leur survit?» (p. 241)C’est que les révolutions prennent leur source dans l’idéologie, dans l’abstraction et non dans la réalité puisque :«?On lit une déclaration des droits de l’HOMME et du citoyen. (…) J’ai vu, au cours de ma vie, des Français, des Anglais, des Italiens, des Allemands, des Russes, etc. : j’ai même appris dans un livre célèbre, qu’on peut être Persan, mais je n’ai jamais vu l’HOMME, s’il a des droits, je m’en moque?; jamais nous ne devrons vivre ensemble : qu’il aille les exercer dans les espaces imaginaires.?» (p. 79)Le livre comporte trois parties, chaque partie un certain nombre de chapitres, le dernier s’ouvre sur les Soirées de Saint-Pétersbourg ainsi présentées :«?Œuvre surprenante qui reprend le genre épuisé du dialogue philosophique, mais d’une façon toute particulière et étonnamment renouvelée. Les points de vue les plus à contre-courant, paradoxaux et mystérieux s’y développent en une atmosphère étrange, et un faux désordre de conversation, dans lequel se cache un itinéraire. Que ce soit d’un point de vue littéraire ou philosophique, cet écrit est, au fond, unique en son genre, et les richesses qu’on tire de sa lecture semblent inépuisables.?» (p. 255)On l’aura compris, le livre de Patrick Malvezin est un précieux outil pour connaître l’œuvre et la pensée de Joseph de Maistre. Concluons avec l’abbé Lorans dans sa préface :«?L’ouvrage de Patrick Malvezin ne propose pas seulement une réflexion spéculative, on y voit, en filigrane, quelques questions pratiques et bien actuelles : les politiciens peuvent-ils faire l’économie du mystère?? Peuvent-ils ignorer le péché originel et la Rédemption?? Peuvent-ils s’affranchir du mystère du gouvernement?? Peuvent-ils croire qu’en décapitant le roi, la Révolution a définitivement coupé avec toute transcendance, et écarté sans retour ce mystère du gouvernement divin dont le souverain sur terre n’avait que la lieutenance???» (p. 14-15)Claude Jacque, dans Lectures Françaises n° 800 (décembre 2023)Recension dans Politique Magazine n° 228 octobre 2023 :Voilà un livre puissant qui est, à ce jour, la réflexion la plus poussée sur la vie et l'oeuvre de Joseph de Maistre. L'idée de l'auteur, Patrick Malvezin, qui par sa propre vie et ses propres recherches et travaux est le meilleur connaisseur actuel de Joseph de Maistre, est d'éclairer l'une par l'autre. Avec toute la rigueur requise et tout le savoir nécessaire, ce qui lui permet d'évacuer les élucubrations qui ont constamment déprécié la pensée de l'homme qui, en son temps et sur le coup de l'événement, a le mieux compris la révolution française, tant dans ses origines que dans ses conséquences.Le maçonnisme de Maistre entre autres est remis à sa place et fort bien expliqué. D'ailleurs, il lui a servi, d'une certaine manière, à mieux saisir par la suite la logique des événements : sa propre adhésion et même sa participation aux idées et aux chimères de son temps furent à n'en pas douter des préliminaires presque nécessaires.Mais quelle élévation ! Quel style ! Quel regard d'aigle. Dès le début de la Constituante, il devient royaliste. Puis au fur et à mesure que la Révolution étend son empire, dans toutes les errances et les déplacements jusqu'en Russie qu'il doit subir et effectuer, il poursuit sa quête intellectuelle pour mieux avoir une vue synthétique de la totalité du phénomène. Des Considérations sur la France et des Réflexions sur le protestantisme jusqu'à ses derniers chefs d'oeuvre Du Pape et Les soirées de Saint Pétersbourg, il n'a cessé de faire le tour de la question, en l'élargissant sans cesse pour aller jusqu'à l'intelligence philosophique, théologique, mystique même de l'ordre politique. Car cet ordre est un mystère abyssal que la Révolution, ses maîtres, en particulier Rousseau, puis ses épigones, ont prétendu réduire à des catégories d'une absurde simplicité, cause de toutes les désillusions et de tous les échecs. Maistre manie le paradoxe comme une logique supérieure pour mieux faire comprendre l'impossible prétention humaine devant le mystère du gouvernement humain et même du gouvernement de soi-même.Étude remarquable, pleine de jugement, et qui redonne à Maistre toute la place à laquelle il a droit, à côté des plus grands ; et même un peu à part tant son originalité est époustouflante. Il surpasse son contemporain Bonald dont il est si proche, ne serait-ce que par l'aisance du style.Il l'a diagnostiqué et pronostiqué : la Révolution continue. Mais, ce qu'elle ne sait pas, c'est qu'elle n'est qu'un instrument d'une Volonté supérieure et qui s'en servira pour mieux la vaincre. C