Loin du folklore idéologique du "Cathareland" .----. Solidement enraciné dans son Bigorre natal, il y a longtemps que Bernard Antony est « mâché » (comme on dit là-bas) par l'instrumentalisation touristique d'un pseudo « pays cathare » et, plus encore, par l'instrumentalisation politico-religieuse du catharisme.
Il a donc décidé d'en finir avec cette double entourloupe, l'une folklorique, l'autre plus pernicieuse. Avec un livre au titre explicite : Pour en finir avec le " pays cathare ". Un livre qui aurait pu trouver sa place dans la collection " La Désinformation autour de. " de l'Atelier Fol'Fer, mais qui, vu son ampleur et son ambition, est accueilli dans la collection "Xénophon" de cette maison d'édition.
La subversion hérétique cathare a sévi plus d'un demi-siècle. Elle couvrit les règnes de Philippe Auguste, Louis VIII le Lion, et saint Louis. Elle débuta par une croisade ordonnée par la papauté et se poursuivit par une indéniable guerre de conquête. Elle donna lieu à des massacres monstrueux. L'un et l'autre camp n'ayant pas le privilège de l'horreur en ces temps rudes.
Porté par les questions toujours pertinentes et incitatives de Cécile Montmirail, Bernard Antony exprime deux refus. Le premier étant dit dans le titre même de l'ouvrage : en finir avec le fantasme d'un "pays cathare" unanimement dressé contre les hommes du Nord, les Français". Bernard Antony réfute l'étiquetage "cathare" d'un territoire méridional riche d'une immense histoire et d'une identité civilisationnelle qui ne se résument pas à l'épiphénomène cathare.
Le second refus est ainsi développé : "Certes, le catharisme a religieusement et historiquement presque totalement disparu depuis ses dernières résurgences à la fin du XIIIe siècle. Mais il n'est pas aberrant de trouver quelque analogie entre les doctrines manichéennes et cathares d'hier et les idéologies nihilistes d'aujourd'hui " .
En son temps le catharisme, qui haïssait le monde, fut une "culture de mort". D'où la nécessité d'en finir avec une fantasmagorie délétère. Préfacier du livre, Guillaume de Eieulloy écrit notamment que Bernard Antony nous apprend à ne pas porter de jugement. manichéen sur les principaux personnages : "Le pas d'amalgame, que la caste politico-médiatique revendique si souvent dans d'autres contextes, devrait être particulièrement appliqué en histoire - à côté de l'interdit de l'anachronisme, lui aussi souvent rappelé par l'auteur (.). Nos prédécesseurs étaient, comme nous, des êtres humains marqués par le péché, avec leurs aspects lumineux et ténébreux. "
On est ainsi aux antipodes de ce folklore catharisant qui faisait écrire à Georges Bordonove, en toute fin de sa Tragédie cathare (Pygmalion, 1991) : " Désormais, dans la terre de Languedoc, se confond la poussière de ceux qui firent l'Histoire et de ceux qui tissèrent l'humble trame des jours. Les autans ont mêlé de leur souffle les cendres des brûlés de Montségur et celles des inquisiteurs d'Avignonet (.). Des souvenirs persistent : les Toulousains n'ont pas oublié les comtes Raymond ; les Carcassonnais révèrent la mémoire des Trencavel et les Minervois sourient en parlant du vicomte Guilhem. " Les Toulousains, les Carcassonnais d'aujourd'hui et leurs quartiers où l'on parle, hélas, plus arabe qu'occitan ? Un Languedoc rêvé, une Occitanie fantasmée.
Oui, dira t-on, mais quand même l'Inquisition. Bernard Antony ne fait pas l'impasse sur cette institution pour laquelle il ne nourrit pas, et il le dit avec force, une affection particulière. On lira le chapitre intitulé "Le temps de l'Inquisition" qui, loin des caricatures habituelles - et, là encore, des fantasmes récurrents - ne laisse rien dans l'ombre. Avec cette réflexion que l'on peut faire nôtre : " La chrétienté de Jeanne d'Arc, heureusement, ne saurait être ramenée à l'Inquisition de l'évêque Cauchon".
Signé Alain Sanders dans PRESENT n° 9707 du 26 septembre 2020 www.present.fr
Présent quotidien - 26/10/2020
Inquisition, système féodal, papauté ... .----. Au départ ce devait être un bref pamphlet, un coup de gueule de Bernard Antony qui en
a marre de voir chez lui les pancartes « Vous entrez en pays cathare », et toute la
propagande idéologico-touristique autour du mythe de Montségur (ce ne fut pas un
bûcher de l'Inquisition et les murs que l'on voit ne sont pas cathares) et de ceux qu'on
ose présenter comme de bons chrétiens authentiques persécutés par les méchants
catholiques dévoyés.
Mais voilà que de fil en aiguille et surtout de sources historiques authentiques en études
dédiées au sujet, il s'est passionné pour la question et a considérablement élargi son angle
d'attaque. C'est pourquoi il ne cessait de me parler de ce livre qui prenait tant de retard.
On comprend pourquoi, surtout, quand on le lit. Car d'une histoire extrêmement
compliquée Bernard Antony a fait un roman d'aventure. Un roman où tout est vrai, une
page d'histoire où la longue et patiente dissection des sources diverses aboutit à un récit
unifié, vivant, d'un élan allègre et sans cesse rebondissant (et ce n'est pas une mauvaise
idée de ce point de vue de le présenter comme une conversation avec Cécile
Montmirail).
D'abord, Bernard Antony s'attache, avec un grand souci pédagogique, comme le
souligne Guillaume de Thieulloy dans sa préface, à définir ce qu'est le catharisme. Et ce
n'est pas facile, car il y en en eut plusieurs variantes. Mais l'essentiel est que cette
doctrine, contrairement à ce qu'en rêvent les catharophiles de notre temps, ne ressemble
en rien à un émouvant retour au christianisme des origines. Il ne s'agit même pas d'une
hérésie, mais d'une idéologie profondément antichrétienne, et par là anti-naturelle : une
préfiguration de la culture de mort. Et les gentils cathares ne se privaient pas de
persécuter les catholiques, d'où l'inévitable réaction de défense de la chrétienté.
Réaction qui s'incarne dans un homme : Simon de Montfort. L'homme de la croisade
contre les « Albigeois ». L'homme dont on a fait un monstre. Mais qui était d'abord un
vrai chrétien et un génial chef de guerre, et c'est pourquoi il fut choisi pour mener cette
authentique croisade.
Bernard Antony s'efforce de suivre Simon de Montefort dans ses chevauchées, et parfois
il a du mal à reprendre son souffle, tant l'homme est incroyablement rapide,
incroyablement réactif, et qu'il est au centre de tout un dispositif où s'entrechoquent les
liens féodaux, les intérêts des princes et ceux de l'Église, les manœuvres des cathares, les
intrigues des barons, et l'arbitrage du pape... À la croisade proprement est liée de façon
inextricable la conquête de territoires méridionaux par un comte français, dans le
contexte précis d'une époque où se joue l'avenir du midi toulousain entre Aragon et
France.
On rencontre au fil des pages des personnages étonnants. D'abord Montfort,
évidemment, dont on n'a retenu que la cruauté, indéniable, mais qui n'était que le
pendant de celle de ses adversaires ; mais aussi son inséparable mentor spirituel pendant
la croisade, Arnaud Amaury, moine cistercien, abbé de Cîteaux, qui deviendra
archevêque de Narbonne et se fera duc de Narbonne, au grand dam de Montfort...
Personnage essentiel aussi Raymond VI, comte de Toulouse, sorte de politicien retors et
sans scrupule qui réussit toujours à se sortir des pires difficultés et à retomber sur ses
pieds alors qu'il ment à tout le monde, y compris au pape. Aujourd'hui il aurait été un
homme clé de la République.
Enfin après la croisade il y a l'Inquisition. Bernard Antony s'efforce là aussi d'être
véridique : il souligne que les inquisiteurs (dont plus d'un fut massacré) menaient de
véritables enquêtes, approfondies, et que les procès étaient tout sauf expéditifs. Que l'un
des deux premiers grands inquisiteurs de Toulouse prononça 671 condamnations dont
aucune au « bras séculier ». Que même le célèbre Bernard Gui, horriblement caricaturé
dans Le Nom de la rose, ne prononça pas plus de 4 % de peines capitales. Il est toutefois
assez sévère envers une institution de « police de la pensée religieuse » qui maniait la
terreur au nom de l'Église.
C'est aussi l'intérêt de ce livre de faire réfléchir sur des questions complexes, non
seulement l'Inquisition, mais le système féodal, la place de la papauté, l'évolution vers les
nations modernes, etc. Bref, on ne perd pas son temps. [ Yves Daoudal dans Reconquête, n° 371, octobre 2020 ]
Reconquête . - 26/10/2020